C’est peut-être une nouvelle tendance. L’employé1 congédié qui estime son licenciement abusif doit former opposition par écrit auprès de l’employeur. Mais il arrive que la lettre d’opposition demande en outre une copie du dossier personnel de l’intéressé. Une telle sollicitation peut être embarrassante pour l’employeur, qui se demandera quelle suite il convient d’y donner. Quelques éléments de réponse sont livrés ci-dessous.
Tout d’abord, ce genre de requête est légitime. Les dispositions de la loi fédérale sur la protection des données (LPD), qui s’appliquent en matière de contrat de travail2, prévoient en effet que l’employé a un droit d’accès à toutes les données le concernant qui sont contenues dans son fichier3, lequel se définit comme l’ensemble des données personnelles dont la structure permet de rechercher les données par personne concernée4. Pour le surplus, ni la LPD ni le code des obligations ne définissent ce qu’il faut comprendre par le dossier personnel d’un collaborateur, dont la constitution n’est d’ailleurs pas expressément exigée en droit suisse.
Dans le canton de Vaud, il existe une définition applicable aux rapports de travail entre l’Etat et ses collaborateurs : le dossier personnel recouvre le contrat et ses avenants, le cahier des charges, les documents d’entretien d’appréciation, l’attestation des cours de formation continue, les documents échangés et les éventuelles décisions, ainsi que toute autre pièce concernant le collaborateur et son activité5.
Par analogie avec le droit vaudois de la fonction publique, l’on peut raisonnablement considérer que les éléments ci-dessus doivent être fournis à l’employé qui le souhaite, même si ces éléments ne sont pas nommément indiqués dans la requête et si l’employé les a déjà reçus. A noter que la loi n’exige pas que les éléments du dossier personnel soient réunis dans un seul dossier et dans un seul endroit ; ces éléments peuvent se trouver à plusieurs emplacements et sous plusieurs formats.
Mais certains éléments ne sont pas accessibles à l’employé. Selon la LPD, il s’agit d’abord des données personnelles qui sont traitées pour un usage exclusivement personnel et qui ne sont pas communiquées à des tiers6. La doctrine enseigne qu’il s’agit de tous les échanges internes, par exemple de notes ou d’outils d’aide à la décision concernant la gestion de la carrière d’un employé ou la gestion de conflit, même s’ils font l’objet de lettres ou d’emails, voire des notes personnelles du recruteur, du supérieur hiérarchique ou d’autres collaborateurs7.
A côté de cela, la loi prévoit que la communication de certains renseignements peut être refusée ou restreinte, voire différée, dans la mesure où les intérêts prépondérants d’un tiers ou du maître du fichier l’exigent8. La doctrine cite les documents révélant les intentions stratégiques de l’employeur, par exemple des documents relatifs à la planification des besoins en personnel, aux plans de carrière ou à sa stratégie de défense en cas de conflit avec un employé9. L’on peut aussi imaginer un audit financier contenant des secrets d’affaires, un rapport d’un détective privé mettant en cause d’autres personnes, la dénonciation émanant d’une victime de mobbing ou encore le signalement d’un whistleblower dont l’anonymat doit être préservé.
La demande d’accès aux données personnelles ne doit pas constituer un abus de droit. Tel sera le cas lorsque qu’elle ne répond à aucun intérêt digne de protection, qu’elle est purement chicanière ou qu’elle doit servir des intérêts autres que ceux que la règle est destinée à protéger. Le droit suisse n’autorise pas les fishing expeditions par lesquelles l’employé tente de construire un dossier contre l’employeur en recherchant les faiblesses ou les failles de son dossier10. Le Tribunal fédéral a jugé que si la requête de l’employé visant à obtenir les données le concernant en vue d’une éventuelle action en dommages-intérêts contre le maître du fichier n’est, en soi, pas abusive, tel n’est pas le cas d’une requête qui ne constitue qu’un prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve ou d’un droit d’accès exercé dans le but exclusif d’espionner une partie adverse et de se procurer des preuves normalement inaccessibles11.
Les renseignements sont fournis dans un délai de 30 jours dès la réception de la demande. Il en va de même d’une décision restreignant le droit d’accès pour les raisons indiquées ci-dessus. Si les renseignements ne peuvent pas être donnés dans les 30 jours, l’employeur doit en avertir l’employé en lui indiquant le délai dans lequel interviendra sa réponse12. En cas de litige relevant de la compétence des autorités vaudoises, l’employé peut saisir le tribunal de prud’hommes en invoquant l’article 328b CO ou le président du tribunal d’arrondissement qui est compétent pour les décisions relatives au droit d’accès aux données personnelles, que ce soit dans les rapports de travail ou dans un autre contexte13.
D’une manière générale, nous ne sommes guère enclin à donner suite à une demande de fournir, sans autre précision, l’ensemble du dossier personnel, dans la mesure où une sollicitation aussi vague s’apparente à une fishing expedition prohibée. De même, la requête tendant à la production de documents que l’employé possède manifestement déjà (bulletins de salaire régulièrement envoyés, contrats et avenants établis en deux exemplaires originaux, courriers ou emails échangés, etc.) devrait être considérée comme chicanière, sauf à l’intéressé d’indiquer précisément quels documents ont été égarés. Il en va de même de documents qui sont demandés dans le seul but de vérifier si l’employeur les possède toujours (lettres d’avertissement, demandes de congé, relevés de vacances, etc.). A notre avis, l’employeur devrait aussi s’opposer à la production de tout document de nature interne comme des notes personnelles ou des emails échangés entre collaborateurs, même s’ils ont un lien avec le requérant. Le droit d’accès aux données personnelles ne confère pas le droit à un employé de prendre connaissance ou de vérifier tout ce qui se passe à l’intérieur de l’entreprise qui l’a occupé. Dans la même veine, ce droit ne doit pas permettre à l’employé de reconstituer son parcours professionnel, par exemple par la remise de documents (courriers, contrats, rapports, factures, etc.) qu’il a reçus ou établis en exécution de ses tâches ; de tels documents, qui appartiennent à l’employeur, ne relèvent pas des données personnelles au sens de la LPD.
Notes
- Les termes « employé » et « employeur » utilisés par simplification dans le présent billet s’entendent pour toutes les personnes, physiques ou morales, qui sont parties à un contrat de travail.
- Selon l’article 328b CO, l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat. En outre, les dispositions de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données sont applicables.
- Article 8 alinéa 2 lettre a LPD
- Article 3 lettre g LPD
- Article 106 du règlement général du 9 décembre 2002 d’application de loi du 12 novembre 2001 sur le personnel de l’Etat de Vaud.
- Article 2 alinéa 2 lettre a LPD
- Marie Major, le Droit d’accès de l’employé à son dossier personnel in Jean-Philippe Dunand/Pascal Mahon, la Protection des données dans les relations de travail, pp. 296 ss ; Rémy Wyler/Boris Heinzer, Droit du travail, 4ème édition, pp. 433-434.
- Articles 9 alinéa 1 lettre b et 9 alinéa 4 LPD
- Marie Major, op. cit., p. 300 et les références.
- Marie Major, op. cit., p. 297; Rémy Wyler/Boris Heinzer, op. cit., p. 437.
- ATF 4A_406/2014 & 4A_408/2014 du 12 janvier 2015, consid. 7.1.1 et les références.
- Cf. l’article 1 alinéa 4 de l’ordonnance relative à la loi sur la protection des données (OLPD) du 14 juin 1993
- Article 6 chiffre 3 du Code de droit privé judiciaire vaudois (CDPJ) du 12 janvier 2010